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« œ », toile de coton, peinture acrylique et mine graphite, 2m /4m
bande son réalisée pour « oe » – chant polyphonique – 2020

« oe » mêle science, alchimie, récits mythiques et religieux. Cette peinture est issue d’observations du vivant entre macrocosme et microcosme.

« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ».

La Table d’Emeraude, Hermès Trismégiste, 3e ou 2e av. J.-C.

« oe » comme « œcuménique » adj. est emprunté, sous la forme ecuménique (1547 Budé) rectifiée en œcuménique (1599), au latin ecclésiastique oecumenicus « de toute la terre habitée » et « universel ». Ce mot est dérivé de oecumene « la terre habitée, l’univers ».

La forme d’« oe » provient de l’architecture hélicoïdale de la tour de Babel ainsi que de la double hélice de l’ADN appelé aussi « bicaténaire ». Il se trouve également que l’architecture de l’Enfer de Dante dépeint par Botticelli est similaire à celle de la tour de Babel mais inversée, la tête dirigée vers le bas.

Lorsqu’on parle de la tour de Babel, on l’associe d’abord à sa chute, or celle-ci fut érigée à un moment où l’homme communie pleinement avec l’univers et pense alors pouvoir défier Dieu. En effet, chassé du paradis, l’homme a conservé le langage des dieux, il possède la faculté de comprendre le langage de tous les règnes : minéral, végétal et animal. Il pense alors pouvoir s’affirmer face à Dieu en édifiant cette tour qui défie le temps et l’espace, il fait preuve d’un orgueil illimité, d’un moi triomphant. Nous pouvons réinterpréter ce langage universel par le langage génétique, celui qui traduit les gènes en protéines, fondé sur l’ARN et l’ADN et qui régit le langage de la nature. Aujourd’hui l’homme a développé des outils pour comprendre voire manipuler le vivant, le modifier et quelque part « jouer à Dieu ».

Les acteurs qu’on trouve au sein de cette architecture sont des microorganismes, cellules, virus et bactéries. Les échelles se confondent entre des éléments du vivant et des organismes de tailles diverses.

La construction d’« oe » s’établit d’abord selon une dualité, d’une part, le haut de la toile est constitué d’organismes dits sains tandis que le bas de la toile représente les organismes déclarés pathogènes.

« oe » réunit ces deux architectures qui s’épousent pour donner corps à une seule et même structure, la partie haute montre un réseau sanguin et neuronal qui traduit l’idée d’un langage commun, de flux vital avec une cellule-œuf trônant en son sommet. Celle-ci est maintenue par huit spermatozoïdes se transformant ensuite en quatre bicaténaires. En alchimie et dans divers récits mythiques, l’œuf symbolise la création de l’univers.

La partie basse dépeint les notions associées à l’Enfer du latin Infernus « qui est en dessous », telles que la souffrance, la dégénérescence, la prédation ou encore la maladie. J’ai voulu y dépeindre une sensation d’envahissement, un débordement ou encore un danger imminent. La nuée d’agents pathogènes est peuplée essentiellement de virus, de bactéries et aussi de cellules cancéreuses dont l’apparence repoussante et filamenteuse nous fait ressentir instinctivement du dégoût et de l’angoisse. La racine « Patho- » est un élément formant de multiples mots tels que « pathogène, pathologie ». Elle représente le grec pathos « ce qui arrive », « expérience subie, malheur, émotion de l’âme ». Nous pouvons ressentir aussi de l’angoisse face aux quelques leucocytes et macrophages en pleine action de défense pour tenter de repousser le danger. Par exemple certains macrophages peuvent paraître tout aussi effrayants qu’une cellule cancéreuse car ils développent eux aussi un réseau anarchique de tentacules pour se saisir des envahisseurs, ainsi la frontière s’estompe et la distinction entre pathogène et sain devient plus ardu, du moins pour un regard non expérimenté. Il en va autrement pour les virus qui ont développé des enveloppes protéiques aux formes diverses, cylindrique, sphérique et très souvent aussi cette curieuse géométrie hautement symétrique, dénommée icosaédrique, qui dérive d’un polyèdre régulier, l’icosaèdre, aux vingt faces toutes identiques. L’icosaèdre est l’un des solides platoniciens, un polyèdre régulier dont les arêtes sont toutes égales.

La zone de rencontre entre ces deux univers est la plus complexe car elle devait réussir à traduire la diversité d’interactions entre pathogènes et cellules saines ou immunitaires. L’endroit où se rencontrent ces deux architectures correspond à une sorte d’axe de symétrie à partir duquel s’érige chacune d’entre elles. Ce théâtre correspond à une zone où se déroulent des opérations de combat décrites le plus souvent à l’aide d’un lexique guerrier, il s’agit d’attaque et de défense, d’envahissement, d’alerte, de protection, de machine de guerre, de ruse ….

Du côté des agents pathogènes, le parasitisme est la forme la plus répandue, il s’agit d’utiliser le métabolisme d’une cellule saine en perçant sa membrane lipidique pour y implanter sa propre information génétique. La victime se voit dépossédée de sa propre identité, elle est manipulée, alors la définition même de l’hôte se concrétise car il désigne à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli, soit un seul mot désignant deux choses distinctes.

En rapprochant ces deux univers ambivalents je souhaite remettre en question notre jugement vis-à-vis des êtres vivants que l’on nomme « pathogènes », car c’est du point de vue de l’homme que nous les jugeons ainsi.

« Les bactéries, fungi et virus du microbiote contribuent pleinement à notre équilibre métabolique ainsi qu’à la maturation de notre système digestif et de notre système immunitaire et à la protection contre d’autres microorganismes pathogènes. Plus surprenant, des études récentes indiquent que le microbiote intestinal influencerait le fonctionnement cérébral. Nous sommes donc chroniquement infectés / colonisés par des microorganismes qui non seulement ne sont pas pathogènes, mais qui au contraire nous sont indispensables. C’est une vision nouvelle qui se dégage de ces découvertes récentes. Notre identité, notre « soi », n’apparaît plus constitué uniquement de cellules d’origine humaine, mais également d’une multitude de bactéries, de virus et de champignons unicellulaires. Une partie non négligeable de nos propres gènes a pour origine des virus montrant que l’infection par des virus a contribué fortement à l’évolution de notre espèce. »

Jacques Lependu, directeur du Centre de Recherche en Cancérologie Nantes – Angers (CRCNA), Nouveaux concepts sur les microorganismes dans leurs relations avec leurs hôtes, exposition « L’un l’autre », 2015.

« oe » peuple la Tour de Babel ainsi que l’Enfer de microorganismes car l’espèce humaine est à l’échelle de la planète Terre, une espèce parmi d’autres qui constitue une infime partie du « microbiote planétaire ». Il a été dénombré en août 2011, environ 10 millions d’espèces différentes peuplant la Terre. Or nous sommes les seuls à générer un impact écologique dévastateur tout en possédant un développement démographique exponentiel. Ce qui n’est pas sans rappeler les relations parfois déséquilibrées entre un hôte et des microorganismes devenus pathogènes. « oe » tente de déconstruire la hiérarchie que l’homme s’est lui-même échafaudé comme espèce dominante, car l’optimum n’est pas de nous comporter comme pathogène. Hélas, les interactions entre hôtes et microorganismes résultent d’une longue histoire de co-évolution et l’espèce humaine se comporte davantage comme un parasite qui débute ses relations avec son hôte, la Terre. Ainsi, comme l’a expliqué Jacques Lependu concernant la contribution des virus à l’évolution de notre espèce, comment pouvons-nous contribuer à l’évolution de la planète dans le respect de son microbiote ?

oe – Florian Gadenne – 2018/2019

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